La rose est
sans pourquoi
Si tu regardes des murs souillés de beaucoup de tâches, ou faits de pierres multicolores, avec l’idée d’imaginer quelque scène, tu y trouveras l’analogie de paysages au décor de montagnes, rivières, rochers, arbres, plaines, larges vallées et collines de toute sorte. Tu pourras y voir aussi des batailles et des figures aux gestes vifs et d’étranges visages et costumes et une infinité de choses, que tu pourras ramener à une forme nette et complétée.
Léonard de Vinci, Traité de la peinture
" Il me semble alors découvrir pourquoi de telles images exercent sur l’esprit une si puissante fascination, surprendre les motifs souterrains de l’inlassable et déraisonnable ardeur qui pousse l’homme à doter d’un sens toute apparence dépourvue de signification, à partout guetter des correspondances et à les créer où elles manquent. Je discerne là l’origine de l’invincible attrait de la métaphore et de l’analogie, les raisons d’un étrange et permanent besoin d’identifier. Je me retiens à peine d’y soupçonner une antique et diffuse aimantation, l’appel du centre, le souvenir obscur, presque aboli, ou le pressentiment, inutile chez un être aussi chétif, de la syntaxe générale. "
Roger Caillois
Les Pierres à images, pierres imagées ou figurées sont des pierres curieuses qui constituent de véritables œuvres d'art, représentatives ou abstraites. Elles témoignent parfaitement de notre capacité à transformer par le regard des formes abstraites en formes figuratives. leurs formes hasardeuses sont également la signature des forces qui s'opère dans la matière depuis des millénaires. Hasard ou nécessité ? Un savant mélange de physico-chimie dans une danse chaotique avec l’imprévu de la rencontre entres les matériaux et leur composition particulière révèle grâce au temps à l’échelle du minéral, l'œuvre de la nature.
Les arborescences minérales naissent de l’infiltration d’eau chargée d’oxyde de fer ou de manganèse dans les failles de la pierre. Par diffusion et agrégation, ces éléments dessinent des motifs évoquant des branchages ou des forêts. Ce processus, bien que minéral, rappelle celui de la peinture : une rencontre entre deux matières de densité différente génère des formes spontanées, dictées par les dynamiques internes du matériau.
L’analogie avec la nature est doublement signifiante : d’une part, elle est représentative, car ces motifs nous renvoient visuellement à des paysages familiers ; d’autre part, elle est heuristique, révélant une parenté profonde entre les processus de croissance et de diffusion à l’œuvre dans la matière vivante et inerte. Cette ressemblance entre formes n’est pas fortuite : elle témoigne de l’universalité des lois physiques qui structurent le monde. C’est précisément en unifiant sous un même cadre théorique des phénomènes en apparence disjoints que les physiciens parviennent à saisir les principes fondamentaux qui régissent la matière et, par extension, la nature elle-même.
"Prisonnières du grès, plus rarement de l’agate, exceptionnellement du quartz, les arborescences du manganèse y étalent leurs dentelles de feuillage, leurs chevelures de neurones, sur les larges plaques de grès, leur couleur variant du rouge brique au noir en passant par les diverses nuances de l’ocre, elles se ploiement en large buisson à demi desséché par le soleil, chaque brindille se détache et se ramifie avec une prestigieuse netteté"
Roger Caillois, L'Écriture des pierres