Coralie Cornou   

Transflorescence

La rose est

                       sans pourquoi

 

Une quête de sens au sein du désordre apparent de l'univers
 

le chaos n'est pas simplement un éléments négatifs ou une absence de structure, mais ils est la source de tout devenir. L'artiste, à travers l'enchevêtrement de formes, de couleurs, de lignes, cherche à instaurer un dialogue avec l'imprévisible. Loin de vouloir imposer un sens rigide, l'art devient une exploration ouverte, où le sens peut être éphémère et fluctuant, tout comme le monde lui-même. En cela, l'art met en lumière la beauté de l'impermanence du monde où l'infini s'exprime à travers des structures temporaires.

Le Chaos comme Catalyseur de Transformation
 

Loin d’être une menace, le chaos est une condition essentielle de toute transformation. Sans lui, il n’y aurait ni surprise, ni émergence, ni invention. C’est dans le chaos que résident les potentiels encore inexploités, les germes d’idées et de formes qui défient les limites du connu. Dans cette optique, le rôle de l’artiste est profondément exploratoire.

 

Cette vision résonne avec l’idée de Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra :

 

« Il faut porter en soi un chaos pour mettre au monde une étoile dansante. »

 

L’« étoile dansante » symbolise ici l’acte de création, l’épanouissement de l’individu qui, en traversant ses propres abysses, parvient à forger du sens, de la beauté, voire une nouvelle façon d’être au monde. Ce chaos en soi peut être vu comme ce qui nous lie au vide, au vertige, à la folie, ou à l’inconscient

 

Une absence de repères, une plongée dans l’indéterminé, une sensation d’instabilité face à l’infini des possibles, une perte de contrôle, un débordement de l’ordre rationnel, notre instinct brut, une vitalité première, non domestiquée ou encore le réservoir caché de pulsions, de désirs et d’ombres qui échappent à notre maîtrise. Ce chaos intérieur est une force à la fois menaçante et féconde : il nous expose au risque de dissolution, mais il est aussi la condition de toute création et de tout dépassement de soi.

Le chaos ou le désordre est ici perçu comme une source, un accès ou une brèche ouvrant sur l'infini, sur le réel dans ses potentialités ultimes. L'art peut ainsi être vu comme un agencement, ou mieux, une trouée vers et dans, le chaos. 

 

Ainsi le chaos n'est un simple désordre stérile, mais il est ce qui maintient et permet toute dynamique créatrice.

 

 

La Vie : Une Dynamique Loin de l’Équilibre

 

La vie, en tant que phénomène complexe, illustre un double mouvement paradoxal : d’une part, elle consomme de l’énergie et génère de l’entropie (désordre), conformément au deuxième principe de la thermodynamique ; d’autre part, elle crée des structures organisées et hautement complexes, maintenant localement un état de faible entropie. Ce processus, apparenté à ce que les physiciens appellent une "structure dissipative", se manifeste par l’échange constant de matière et d’énergie avec l’environnement, permettant à la vie de se maintenir dans un état éloigné de l’équilibre thermodynamique, condition essentielle à sa survie.

 

Contrairement à la matière inerte, la matière vivante ne se limite pas à subir passivement les lois de la physique et de la chimie ; elle manifeste une dynamique interne. Cette capacité d’auto-organisation, repose sur une "double détermination". D’une part, la vie obéit aux lois universelles de la nature ; d’autre part, elle produit un ordre propre, émergeant de processus intrinsèques comme l’autoréplication, le métabolisme et l’évolution.

 

 



 

L’Ordre dans le Désordre : Une Exploration Entropique
 

Prigogine, physicien et chimiste, a montré que dans des systèmes loin de l'équilibre, le chaos et l'entropie ne conduisent pas nécessairement à la destruction, mais peuvent être le moteur de nouvelles formes d'organisation. Ces structures dissipatives émergent lorsque l'énergie et la matière circulent à travers un système ouvert, lui permettant d'atteindre un état d'ordre supérieur. Comme il l’a exprimé dans "Temps à devenir" :

 

« Loin d’être simplement un effet du hasard, les phénomènes de non-équilibre sont notre accès vers la complexité. »

 

L’entropie, tout en augmentant, donne lieu à des formes vivantes ou organisationnelles qui se maintiennent loin de l’équilibre thermodynamique. Ces structures, dites néguentropiques, consomment de l’énergie pour créer de l’ordre. À l’échelle humaine, nos villes et œuvres d’art participent à ce processus, dissipant de l’énergie tout en générant des formes visibles d’organisation.

L’œuvre d’art :  une structure dissipative
 

De manière analogue, une œuvre d’art peut être considérée comme une structure dissipative, transformant des flux d’énergie et de matière brute en formes organisées et signifiantes. En un sens l'art augmente le désordre de l'univers et son entropie. néanmoins, l'art n'est pas que cela.

 

Le matériau brut (peinture, argile, mots) subit une transformation grâce à l’énergie déployée par l’artiste – son inspiration, son effort physique, et son engagement émotionnel ou intellectuel. Ce processus aboutit à une création dotée d’une organisation propre, mais qui reste ouverte à l’interprétation, à l’interaction et souvent à l’altération par son environnement (lumière, contexte culturel, perception du spectateur).

 

Tout comme la vie elle-même, une œuvre d’art n’est pas un objet figé, mais un système dynamique inscrit dans un flux plus large. Elle participe à l’infini cycle de transformation entre l’ordre et le chaos, incarnant ce que l’on pourrait appeler une "entropie créative".

Une Poétique de l’Énergie et de l’Impermanence
 

L’art ne se limite pas à la beauté ou à l’émotion. Il est une résistance au figé, une ouverture au possible, une invitation à danser avec l’imprévisible. Dans chaque geste créatif, il célèbre la tension féconde entre le chaos et l’ordre, nous rappelant que c’est précisément dans cette oscillation que réside la vérité et la beauté de la vie.

 

Ainsi, l’art est à la fois destruction et renaissance, mort et révélation, il nous rappelle que derrière chaque forme figée se cache toujours un chaos impatient, prêt à nous offrir une nouvelle vision du monde. Ce chaos n’est pas une négation, mais une condition de l’ouverture à l’autre, à l’inconnu, à ce qui échappe encore à notre compréhension. De même, l'art est une brèche dans l’ordre du monde, une invitation à accueillir le chaos non pas comme une menace, mais comme une promesse d’un renouveau perpétuel.